Min Soo Yeon & Jessica Burns. En voila une association de prénom qui attire le regard. Lui est coréen, elle est anglaise. Ils se sont rencontré à Séoul, ils se sont aimé d'abord secrètement et, bien que la famille désapprouve, se sont mariés à l'aube de leurs vingt ans. Trois ans plus tard, alors qu'ils ont élu résidence dans une superbe maison de la banlieue d'Oxford depuis ce jour magique, ils ont le plaisir de vous annoncé la venue de leur fils. Kalei June Yeon est né à terme en terre anglaise, 2kg 835 pour 48 centimètres. Il a les beaux yeux de son père, qui l'eut cru.

SUKI ▬ Combien de temps encore comptes-tu me priver de mon petit-fils !?! Déjà que je dois vivre sans mon fils unique, parti à l'autre bout du monde, mais en plus celui-ci ne m'aime pas suffisamment que pour faire un petit trajet Londres-Séoul que je puisse embrasser ma descendance ! Et bien c'est du joli. Fils indigne !
De l'autre côté de la terre Min Soo rit (le jeu de mot n'était pas fait exprès du tout xD), sa mère était irrécupérable. Folle à lier je dirais même, mais c'est ce qu'il aimait chez elle. Sa vivacité, sa joie de vivre, ses exubérances. Dans un coin de la pièce, Jessica se moque, elle aime les entendre se crier dessus, peut-être parce qu'elle ne comprend pas un traitre mot de la conversation et que le coréen est une langue lui paraissant toujours aussi exotique qu'à leurs premiers ébats amoureux. Quoi que sorti de la bouche la belle-mère...
MIN SOO ▬Il est encore un peu petit pour faire un tel trajet maman, je te l'ai déjà dit. On viendra fêter son premier anniversaire avec vous c'est promis, mais laisse lui un peu de temps pour grandir. Il entendit sa mère souffler à l'autre bout du fil. Était-ce le signe qu'elle laissait tombé le combat ? Et bien non, elle reprit, toujours aussi survoltée.
SUKI ▬ Tu veux que je te rappelle ça quel âge tu as pris l'avion pour la première fois ?
MIN SOO ▬Oui et bien on voit le résultat. Ça fait du dégât !
SUKI ▬ Oh je t'en prie, il aurait fallu plus d'un vol pour t'abrutir, même à cet âge là. Enfin bon, vous nous revenez le plus vite possible hein ? C'est promis ?
Il le luit promis et raccrocha, pas mécontent d'avoir la paix. Jessica était allongée sur le sofa et souriait encore comme une démente lorsqu'il se tourna vers elle. Il s’abstint de faire le moindre commentaire, elle serait vite partie pour le charrier autrement et puis il avait toute autre chose en tête. Kalei était dans sa chambre et pour la première fois depuis six mois semblait bien parti pour dormir la nuit entière et quant à eux, ils avaient une éternité à rattraper...

Comme promis toute la petite famille fit le déplacement pour le premier anniversaire de Kalei, qui ne parlait pas un mot de coréen et qui fut donc vite perturbé par sa grand-mère qui ne tarissait pas d'éloges à son sujet. Quand tu seras plus grand tu comprendras, car papa t'apprendra. Le coréen et le japonnais par dessus le marché ! Pas encore sept ans que miniKei est trilingue, si c'est pas magnifique ça tout de même. Il faut croire que ça aide d'avoir été diagnostiqué enfant surdoué à l'âge de cinq ans.




Puis on arrive à un âge où on se rend compte que l'on est pas comme tout le monde et là ça aide moins d'être une tête. Surtout quand on a pas la même que tout le monde. Vous devenez en peu de temps une bête de foire et les gens s’asseyent à côté de vous en math juste pour pouvoir tricher. Ne venez pas croire que l'enfance de Kei fut malheureuse, en fait cette solitude lui plaisait. Il y avait déjà tellement de bruit dans sa tête que la présence d'enfants puérils et immatures l'insupportait. Replié sur lui-même, constamment occupé à ingurgiter de nouveaux savoirs, il prit l'habitude de parler seul, de réciter. Quand on a six-sept ans, tout parait normal. Même le meilleur psychiatre vous dira que les enfants ont besoin d'amis et que certains trouvent un repos dans les amis imaginaires. Quand à onze ans ça continue, là par contre, le psychiatre est moins confiant. On refait des tests. On en a déjà tellement fait pour lui dire qu'il était plus intelligent que la moyenne et ça recommençait. Sauf que cette fois on ne cherchait plus pourquoi tout fonctionnait si bien, mais pourquoi tout dérapait soudainement. Petite à petit on l'aliène, le pauvre devient cobaye.

JESSICA ▬ Qu'est ce que vous avez fait à mon fils !?!. Elle crie et sa voix tremble. Elle tient à peine sur ses pieds, depuis le début de l'hospitalisation elle n'arrive plus à dormir. Des poches monstrueuses se sont formés sous ses yeux dévorés par l'inquiétude, sa peau est pâle, elle semble en permanence sur le point de s'effondrer. Le docteur l'a fait sortir de la chambre car le spectacle qui s'offrait à elle aurait suffit à lui broyer le cœur. MÉDECIN ▬ Ne vous inquiétez pas, ce ne sont que des sédatifs, il fallait impérativement le calmer. Et c'est un euphémisme. Après trois semaines en centre de soin, Kalei avait lâcher prise et ne répondait plus de rien. Il avait cessé de s'alimenter et ce matin il était entré dans une crise de colère dévastatrice et sans précédent. C'était suffisamment perturbant de voir ce petit garçon toujours très calme devenir soudainement une tornade silencieuse, ce le fut plus encore lorsqu'il attrapa un objet tranchant qui trainait et se le planta dans le flanc. Loin de le déstabiliser, le jeune garçon de treize ans avait continué à se faire du mal. Son corps n'était déjà plus qu'un champs d'hématomes lorsqu'une infirmière courageuse eut la présence d'esprit de lui sauter dessus pour lui injecter un tranquillisant. On avait alors appelé les parents qui face au corps inerte de Kalei sur son lit d’hôpital, ne purent retenir leurs larmes plus longtemps. Ils l'avaient déjà tellement fait. Quelques doses médicamenteuses et les choses se calmèrent, ils reprirent leurs batterie d'examen où ils l'avaient laissée. Et si Kalei avait le malheur de broncher, on lui faisait gober un cachet tout allait mieux.

Pas étonnant qu'à ce régime un môme de douze ans essaye de se foutre en l'air. Avec une pathologie comme la sienne, étonnant ça l'est encore moins.

Dans la rue c'est l'effervescence, il se passe quelque chose au 38 Fyfield Road. Une ambulance est garée devant la grande maison, les gyrophares projettent de douces lumières bleutées aux alentours éclairant de la sorte les visages inquiets du voisinage. Ils n'avaient jamais eu à se plaindre de la famille Yeon, au contraire ils étaient très appréciés dans le quartier, à la fois pour leur chaleur que pour leur discrétion. Aujourd'hui ce n'était pas ces gens souriants et amicaux qu'ils virent sortir de la maison, mais deux épaves. Effondrée, la mère ne pouvait avancer sans soutient et son corps convulsait sous le flot des sanglots alors que ses vêtements étaient tâchés de sang. Le père quant à lui était devenu cadavérique, son teint de pêche avait viré au blanc et ses yeux semblaient vouloir fuir au plus vite ce cauchemar. Une civière le précédait, dessus Kalei, inconscient et pâle comme la mort. Une mort qui l'a frôlé de peu. Si le CD qu'il avait mis n'avait pas dérapé et répété sans cesse le même son au point de taper sur les nerfs de sa mère qui était dans la pièce d'à côté, elle ne serait peut-être jamais venue voir ce qu'il faisait. Elle avait retrouvé son fils allongé sur le sol, les yeux fermé, l'air paisible. On aurait dit qu'il dormait. Du sommeil du juste tandis que le marre de sang à ses côtés continuait de dévorer le parquet. Trois coupures nettes et franches au poignet et il était lentement parti se cacher dans un monde d'ouate. Il a des gens que la folie bouffe par les deux bouts, Kalei était de ceux-là.

Comme un malheur n'arrive jamais seul, j'appelle la mort au barreau des accusés. Deux vies pour le prix d'une. Sur la route, un accident comme il y en a tant par delà le monde. Le chauffeur du camion s'en sort avec un bras et le nez cassé. Pour ce qui est du couple qu'il a percuté en perdant le contrôle de son bolide, il n'aura pas eu cette chance. Tués sur le coup. Monsieur et Madame Yeon, moururent un an jour pour jour après la tentative de suicide de leur petit-fils. Qu'ils reposent en paix. Laissé seul au monde dans un pays qui n'était même pas le sien, leur fils revint au pays. Seul. Il était parti durant la nuit, comme un voleur, laissant derrière lui femme et enfant. Plus que jamais il avait besoin d'être chez lui, là où il aurait dû être le jour où ses parents trouvèrent la mort. Rongé par une culpabilité sans motif valable, il reprit le coréen, se trouva un nouveau job, vendit la maison familiale et alla s'installer dans un bel appartement au centre de Séoul. Toujours seul. Les jours passèrent, puis les semaines. Il n'avait aucune nouvelle de sa famille depuis des mois le jour où il les retrouva tous les deux sur le pas de sa porte. Réunie à l'autre bout de la terre, plus unis que jamais, la famille Yeon prit en nouveau départ en déménageant au Japon il y a près d'un an aujourd'hui. J'aimerais vous dire qu'ils vécurent et eurent beaucoup d'enfants mais bon,... Kalei est trop grand pour avoir un petit frère ou une petite sœur, soyons raisonnables ! n_n